Briser l’Envoutement: les relations d’exception et la nouvelle normalité au Cameroun
L’interview récente de Maître Lydienne Yen Eyoum sur JMTVPLUS est un témoignage déchirant de la condition de l’incarcération au Cameroun où les êtres humains sont transformés en animaux. Plus précisément ce que le philosophe italien Giorgio Agamben appelle “Homo Sacer”.
En effet Agamben établit un lien direct entre l’autorité souveraine, l’état d’urgence (ou d‘exception) et le concept de «bare life» ou «vie nue». Le Cameroun est un pays qui vit pratiquement sous un état d’urgence depuis les indépendances. D’abord, sous Amadou Ahidjo pour combattre les “Maquisards”. Maintenant, Biya revendique le même pouvoir d’urgence pour lutter contre la “corruption” et écraser la dissidence dans les régions anglophones. Dans cette lutte, les dissidents qui ne sont pas assassinés par le régime sont détenus et maintenus dans les zones sans loi que sont le Sécrétariat d’État à la Défense (SED) ou la prison centrale de Kondengui à Yaoundé (et bien d’autres encore).
Agamben avec son utilisation d’Homo Sacer démontre que si la vie humaine a une valeur exceptionnelle et inconditionnelle, c’est aussi une forme de vie qui a été privée de toute protection légale dès le début. Et au lieu de s’émerveiller à quel point notre conception du caractère sacré de la vie humaine a changé, Agamben soutient que le sens ancien est toujours valable: l’état qui prétend respecter le caractère sacré de la vie humaine est en fait une machine qui menace de transformer chacun d’entre nous en homo sacer sans défense.
Le CL2P estime en ce sens que l’état d’exception au Cameroun n’est plus l’exception, mais la règle. Car cet état d’exception s’est transformé en ce qu’Achille Mbembe appelle «nécro politique» où l’application brutale du pouvoir souverain est de décider qui doit vivre ou devrait mourir.
Pourtant dans notre démocratie néolibérale mondialisée, ce genre de souveraineté étatique était censé être anachronique et confiné aux poubelles de l’histoire. Agamben continue en affirmant que le paradigme de toute la politique moderne est le camp de concentration et, malheureusement, il n’y a pas de structure juridique «normale» à laquelle il faut retourner. Il n’y a pas de structure «normale» à laquelle il faut remonter car la «nécro politique» n’est pas quelque chose qui aurait pu être évité mais ce qui se passe quand le pouvoir absolu corrompt absolument tout comme au Cameroun. Une forme de corruption juridique où le souverain est à la fois à l’intérieur et à l’extérieur de la loi, ce qui crée un paradoxe où nos systèmes de séparation de pouvoir et nos institutions peuvent facilement être supplantés par un souverain démagogue qui feint d’obéir à l’ordre judiciaire mais en fait le manipule pour sa propre gratification personnelle.
Un moyen de briser ce sortilège de violence est de laisser les victimes témoigner comme Maître Lydienne Eyoum l’a fait sur JMTVPlus. En effet, des témoignages comme ceux de maître Eyoum nous rappellent que nous sommes «humains»; et qu’être un humain est une personnification de la «capacité»: la capacité de penser, la capacité de choisir, la capacité de protester. Un rappel opportun que nous sommes tous nés dans la forme splendide comme «humain». En effet, nous ne sommes pas Homo Sacer ou plus précisément des créatures de Biya!
Par Olivier J. Tchouaffe Olivier, PhD, Porte-parole du CL2P
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English version
Breaking the Spell: Relations of Exception and the New Normal in Cameroon
The recent interview of Maître Lydienne Yen Eyoum on JMTVPLUS is a gut wrenching testimony of the condition of incarceration in Cameroon where human beings are turned into animals. More precisely what the Italian philosopher Giorgio Agamben calls “Homo Sacer.”
Agamben makes a direct link between sovereign authority, the state of emergency (or exception), and the concept of “bare life.” Cameroon is a country that lives practically under a state of emergency. First, under Amadou Ahidjo to fight the “Maquisards”. Now, Biya is claiming the same emergency power to fight “corruption” and crush dissent in the Anglophone regions. In this struggle, those who are murdered are detained and kept in the lawless zones that the SED or Kondengui represent.
Agamben with his use of Homo Sacer demonstrates that if human life has exceptional and unconditional value, it is also a form of life that has been deprived of all legal protection from the beginning. And instead of marveling at how much our concept of the sacredness of human life has changed, Agamben argues that the old meaning still stands: the state that respects the sacredness of human life is actually a machine that threatens to turn every one of us into a defenseless homo sacer.
The CL2P believes that the state of exception in Cameroon is no longer the exception, but the rule. This state of exception has turned into what Achille Mbembe calls “necropolitics” where the brutal application of sovereign power is to decide who should live or who should die.
In our globalized neoliberal democracy, this kind of state sovereignty was supposed to be rendering irrelevant. Agamben goes on to claim that the paradigm of all modern politics is the concentration camp and more, regrettably, there are no “normal” legal structure to go back to. There is no “normal” structure to go back to because “necropolitics” is not something that could have been avoided but what happens when absolute power corrupts absolutely. A form of legal corruption where the sovereign is both inside and outside of the law which creates a paradox where our systems of checks and balances, and our institutions, can easily be supplanted by a sovereign that feigns allegiance to judiciary order while residing outside of it.
A way to break that spell of violence is to let the sufferer testifies as Maître Lydienne Eyoum did on JMTVPlus. Indeed, testimonies as those of maître Eyoum reminds us that we are ‘human’ and being human is the personification of ‘ability’: the ability to think, the ability to choose, the ability to protest. A timely reminder that we were all born in the splendid form as ‘human’. Indeed, we are not Homo Sacer or to be more precise Biya’s creatures!
By Olivier J. Tchouaffe, PhD, Spokesman of the CL2P