TRIBUNE. Malade de sa démocratie, le Gabon a la fièvre. Un vent de colère souffle fort sur Libreville. Une colère sourde, contenue. Une vraie colère.
Les résultats prononcés au soir du 23 septembre par la Cour constitutionnelle gabonaise sont iniques et ne sont rien d’autre qu’un déni de justice et de démocratie. Le peuple gabonais est en deuil, un deuil qui ne pourra pas être apaisé tant que la victoire du président Jean Ping ne sera pas reconnue, et qu’il ne sera pas installé au Palais du bord de mer. Il aura fallu près d’un mois pour que les résultats soient comptés, falsifiés, recomptés et de nouveau falsifiés dans le seul but d’assurer la réélection d’Ali Bongo.
Un score stalinien au sortir d’un épais brouillard
Les faits sont là, et Jean Ping, le président élu, honore les trop nombreux morts, blessés où disparus victimes de la répression. Sur les neuf provinces que compte le Gabon, les résultats des votes validés par les bordereaux écrits et certifiés donnent Jean Ping vainqueur dans huit. Seul le Haut-Ogooué, fief d’Ali Bongo, donne plus de 99,9 % de participation et plébiscite le président Ali Bongo avec 95 % des suffrages exprimés ! Un score stalinien qui, à lui seul, permet au président sortant de rattraper son retard et de s’assurer, au sortir d’un épais brouillard, la victoire.
Face au recours déposé devant la Cour constitutionnelle et au manque de transparence constaté par la communauté internationale, on reste sans voix et la décision prononcée par la Cour foule au pied la souveraineté du peuple gabonais.
Ali Bongo frauduleusement réinvesti, il est désormais temps d’écouter la voix de l’action. La résistance s’impose. Elle s’organise. Le Conseil gabonais de la résistance nouvellement institué n’a pas le choix des armes, il n’en a pas. Aux violences postélectorales il oppose la détermination, la sensibilisation, la mobilisation et exige des sanctions.
Oser la parole
Oser. La parole engage. Jean Ping, lui, parle et ose. Le pouvoir usurpé ne pourra plus jamais terrifier une population éprouvée mais psychologiquement assurée. Tribun de l’absolu, il apostrophe aujourd’hui tous ceux qui souhaitent le suivre dans sa quête farouche de vérité et de liberté. La langue chargée d’idéal parle avec fièvre et courage.
Bâillonné, le peuple gabonais pourra-t-il faire entendre sa voix ?
La communauté internationale saisie d’un grand doute va-t-elle réagir ?
La France, empêtrée dans les relents de 50 ans de Françafrique, osera-t-elle s’exprimer et dire enfin tout haut ce qu’elle pense tout bas ?
Légaliste, le président Ping l’est. Il l’a prouvé en déposant un recours motivé auprès de la Cour constitutionnelle. N’est-il, dès lors, pas lâche de s’abriter derrière la souveraineté de l’État lorsque la démocratie est bafouée et violée ? Les chiffres rendus publics confirment encore une fois le doute et jettent un sérieux discrédit sur l’arbitrage d’une haute juridiction aux ordres.
La résistance sauve les hommes qui la font
La parole est libre et rien n’empêchera de dire haut et fort qu’à ce jeu, exemplarité oblige, des schémas de même facture se répéteront, au risque d’empêcher toute alternance, dans d’autres pays d’Afrique de l’Ouest et centrale. Et que dire de la France qui, cherchant avant tout à sauvegarder la protection de ses intérêts économiques et diplomatiques au détriment du véritable jeu démocratique, joue perdant ? Le Gabon est riche, riche de son pétrole et de son peuple, mais aussi de ses politiques, intellectuels, chercheurs, artistes, créateurs qui en appellent à notre conscience. Pour l’exemple.
N’est grand que ce qui est surmonté. La renaissance est là. La résistance sauve les hommes qui la font. Oui, tant qu’il y aura des hommes qui sauront faire face au mensonge, à l’hérétique, au contre, aux faux semblants, le monde tournera, accomplissant sa lente et inexorable révolution, jusqu’à la victoire. Honneur aux Gabonais qui, à l’abri de leurs peurs et de tout nationalisme étroit, en appellent à la résistance, au rétablissement et au renforcement de la nation. Unis, forts de leur bon droit, ils ne rentreront pas dans l’histoire à reculons, et nous, Jean Ping président d’un peuple de nouveau fier et rassemblé, nous pourrons dire alors : « Nous sommes tous des Gabonais. »
Par Yves Michalon*Le Point