Le dictateur camerounais a toujours su se rendre “indisponible” Ă toutes les tentatives et initiatives de mĂ©diations internationales pouvant concourir soit au desserrement de l’Ă©tau rĂ©pressif et carcĂ©ral autour ses prisonniers politiques, soit Ă la paix dans les rĂ©gions de son pays livrĂ©es aux massacres de ses forces de sĂ©curitĂ©.
Essentiellement parce que son pouvoir se nourrit de cette rĂ©pression et division systĂ©miques des Camerounais, dont il est en rĂ©alitĂ© le principal commanditaire, ne laissant en la matière Ă ses “crĂ©atures” (en dĂ©pit des gesticulations) le soin de prendre la moindre initiative pouvant concourir Ă l’apaisement tant souhaitĂ©.
Les rencontres bilatĂ©rales et multilatĂ©rales en occident, qu’il affectionne particulièrement, ont souvent servi de cadre informel pour le confronter voire le “coincer” Ă travers une diplomatie de couloir sur un certain nombre de situations prĂ©occupantes au Cameroun. DĂ©sormais littĂ©ralement cloĂ®trĂ© dans son pays, il aura beau jeu de se rendre “indisponible” et de de “laisser pourrir” la crises internes camerounaises en ne rĂ©pondant pas aux diffĂ©rentes sollicitations, y compris de ses pairs africains.
Autant dire que l’urgence commande de le contourner littĂ©ralement, en isolant complètement son rĂ©gime sur la scène internationale, au sein de laquelle il ne souhaite visiblement pas ĂŞtre un interlocuteur crĂ©dible.
Pour cela il faut adopter des sanctions ciblĂ©es contre chacun de ses dignitaires (en commençant bien Ă©videmment par lui), geler tous leurs avoirs Ă l’Ă©tranger; puis adopter des rĂ©solutions internationales suffisamment contraignantes pour espĂ©rer amorcer un retour progressif Ă la paix au Cameroun, avec comme prĂ©alable la libĂ©ration immĂ©diate de tous les prisonniers politiques.
Le rĂ´le de Paris, parce que principal soutien devenu pratiquement le rempart du rĂ©gime de YaoundĂ©, est Ă©videmment majeur pour atteindre cet objectif souhaitĂ© par l’immense majoritĂ© des Camerounais et la communautĂ© internationale.
Joël Didier Engo, Président du Comité de Libération des Prisonniers Politiques -CL2P

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Cameroun : le durcissement de la rĂ©pression n’est pas un signal positif
TÉMOIGNAGE. La mutinerie lundi dernier à la prison centrale de Yaoundé met au jour les conditions difficiles pour les détenus de droit commun mais aussi politiques.
Par Sadibou Marong*

Près de 600 détenus de la prison centrale de Yaoundé, opposants politiques et séparatistes anglophones, se sont mutinés le 23 juillet dernier.
La scène se dĂ©roule un matin du 30 juin 2019. VĂŞtu d’un grand boubou immaculĂ©, l’homme marche lentement. Sa main gauche agrippe une sacoche noire et un tĂ©lĂ©phone portable. Il franchit le grand portail qui donne sur l’assez vaste cour d’une maison d’oĂą fusent des cris de joie aigus en guise de bienvenue. Cet homme est Ă©largi de prison, et s’appelle Aboubakar Siddiki, dirigeant du Mouvement patriotique du salut camerounais (MPSC), un parti de l’opposition. Son Ă©pouse et ses enfants, au premier rang du comitĂ© d’accueil familial, le serrent longuement dans leurs bras. Pendant ce temps, une jeune femme tient une petite cassolette servant d’encensoir dont elle fait tourner les chaĂ®nettes pour laisser Ă©chapper une Ă©paisse fumĂ©e de parfum.
Une longue liste de détenus politiques
Cette sĂ©quence ouvre une petite vidĂ©o de trois minutes rĂ©alisĂ©e par la famille pour immortaliser le retour au bercail de leur père. Il s’agit d’une succession d’images mettant Ă la fois en scène une famille heureuse de revoir un ĂŞtre cher et des sympathisants rendus euphoriques par l’Ă©largissement de leur dirigeant après plus de quatre annĂ©es de dĂ©tention.
Le 9 aoĂ»t 2014, Aboubakar Siddiki est arrĂŞtĂ© dans son bureau, en prĂ©sence de ses enfants en bas âge. Il lui a fallu deux mois pour savoir ce qu’on lui reprochait : « rĂ©bellion, rĂ©volution, sĂ©cession, bandes armĂ©es, port illĂ©gal d’armes et munitions de guerre, hostilitĂ© contre la patrie, complicitĂ© d’assassinat » entre autres griefs. Il passera plusieurs annĂ©es de dĂ©tention provisoire, dont dix-huit mois ont servi Ă l’instruction de son dossier.
MalgrĂ© son statut de civil, il comparaĂ®tra devant un tribunal militaire au cours d’un procès ouvert en janvier 2016 et qui a abouti Ă sa condamnation en 2017 à vingt-cinq ans de prison ferme. Il y a ensuite eu une sĂ©rie de treize audiences en appel entre mars 2018 et juin de cette annĂ©e. Aboubakar finira par ĂŞtre condamnĂ© par la chambre criminelle de la cour d’appel militaire, Ă quatre ans de prison pour « non-dĂ©nonciation »Â
L’arrestation de cet opposant au rĂ©gime du prĂ©sident Paul Biya a eu lieu dans un contexte sĂ©curitaire assez particulier. Depuis 2014, le Cameroun fait face aux violentes attaques menĂ©es par des membres du groupe armĂ© Boko Haram, dans la rĂ©gion de l’ExtrĂŞme-Nord. Les autoritĂ©s cherchent Ă protĂ©ger les populations, mais dans leur lutte contre ce groupe armĂ©, elles commettent aussi de graves violations des droits humains contre les civils, comme documentĂ© par Amnesty International.
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Un contexte interne complexe
Le contexte sĂ©curitaire et politique tendu, accentuĂ© ces dernières annĂ©es par une crise dans les zones anglophones et l’Ă©lection prĂ©sidentielle de 2018, a aussi plongĂ© les autoritĂ©s dans une vague rĂ©pressive et liberticide, caractĂ©risĂ©e par des restrictions aux libertĂ©s d’expression, d’association et de rĂ©union et des arrestations arbitraires massives d’activistes politiques, souvent après un recours excessif Ă la force.
Depuis le dĂ©but de l’annĂ©e, plusieurs centaines d’activistes ont ainsi Ă©tĂ© arrĂŞtĂ©s, certains libĂ©rĂ©s au bout de plusieurs mois de dĂ©tention, comme ce fut le cas de 39 opposants arrĂŞtĂ©s en janvier pour « hostilitĂ© contre la patrie » et « insurrection » finalement libĂ©rĂ©s le 13 juillet dernier.
Aboubakar Siddiki se souvient de sa journée du 9 août 2014 quand des individus en civil encagoulés ont fait irruption dans son bureau. Ils lui mettent des menottes aux pieds et aux mains, son visage est dissimulé, avant de le conduire vers une destination inconnue. Il a été gardé pendant 48 jours sans voir ni le soleil ni sa famille, encore moins ses avocats et un médecin.
Au Cameroun, des opposants politiques, des personnes soupçonnées de soutenir Boko Haram ou des séparatistes armés des régions anglophones, payent souvent le prix fort des arrestations et de longues détentions arbitraires.
Il y a le cas de trois jeunes Ă©tudiants pour qui Amnesty International et des milliers de personnes Ă travers le monde, signataires de plus de 300 000 lettres et pĂ©titions, ont menĂ© campagne, demandant leur libĂ©ration. Fomusoh Ivo Feh et ses amis Afuh Nivelle Nfor et Azah Levis Gob ont Ă©tĂ© condamnĂ©s en 2016 chacun Ă dix ans d’emprisonnement par un tribunal militaire pour avoir fait circuler une plaisanterie sur Boko Haram par SMS.
Aujourd’hui, dans la prison d’oĂą Aboubakar Siddiki est Ă©largi, ces trois Ă©tudiants sont toujours dĂ©tenus, alors que leur rĂŞve a toujours Ă©tĂ© de pouvoir continuer leurs Ă©tudes et trouver un emploi.
Ils ont tous Ă©tĂ© jugĂ©s par un tribunal militaire. C’est d’ailleurs devenu systĂ©matique au Cameroun. Dans la riposte contre Boko Haram, les sĂ©paratistes armĂ©s des rĂ©gions anglophones, et des opposants, des tribunaux militaires sont saisis alors que le droit international des droits humains rĂ©fute leur compĂ©tence pour juger des civils. Les autoritĂ©s en font une arme pour corser les peines.
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Le cas des prisons camerounaises
Et les conditions de dĂ©tention sont particulièrement difficiles dans des prisons surpeuplĂ©es, comme cela a Ă©galement Ă©tĂ© documentĂ© par Amnesty International. « Les conditions Ă©taient très mauvaises et très difficiles dans tous les centres de dĂ©tention oĂą je suis passĂ©. Ma vue s’est complètement dĂ©gradĂ©e, j’ai eu des pneumonies par moments et subi une torture psychologique et physique », raconte Aboubakar.
Durant son sĂ©jour carcĂ©ral, Aboubakar Siddiki dit aussi avoir cultivĂ© la patience, la perspicacitĂ© et la rĂ©silience. « La prison a raffermi ma foi et c’est en y Ă©tant qu’on rĂ©alise l’importance d’une famille. C’est le ferment qui permet de tenir, de persĂ©vĂ©rer », dit-il. En prison, les jours se suivent et ne se ressemblent presque pas. Les uns sortent libres, de nouveaux arrivent, arrĂŞtĂ©s ou dĂ©jĂ jugĂ©s. Des discussions naissent et des amitiĂ©s se tissent. Au Cameroun, certains chemins qui mènent en prison ont pour noms : rĂ©pression post-Ă©lectorale comme celle contre les partisans de l’opposant Maurice Kamto, suspicion d’appartenir Ă un groupe armĂ©, et mĂŞme le fait de se lever pour demander le respect des droits fondamentaux.
Le durcissement de la rĂ©pression auquel nous avons assistĂ© ces dernières annĂ©es au Cameroun n’est pas un signal positif dans un pays oĂą les autoritĂ©s ont l’obligation de reconnaĂ®tre et de protĂ©ger les droits humains.
* Sadibou Marong est responsable mĂ©dias pour Amnesty International en Afrique de l’Ouest et du Centre.