Le Conseil des droits de l’homme de l’ONU a exigé, vendredi 12 février, la libération immédiate de la cheffe déchue du gouvernement birman Aung San Suu Kyi, renforçant la pression sur les militaires ayant pris le pouvoir.
Une résolution en ce sens a été adoptée sans vote, à l’issue d’une session extraordinaire des 47 États membres du Conseil des droits de l’homme (CDH) organisée à la demande de l’Union européenne et du Royaume-Uni. La Chine et la Russie, soutiens traditionnels de l’armée birmane, se sont toutefois distanciées du consensus, après l’adoption de la résolution. Tout comme le Venezuela, la Bolivie et les Philippines.
Lors des débats, l’ONU a annoncé suivre de près la situation de « plus de 350 responsables politiques, représentants de l’Etat, militants et membres de la société civile, y compris des journalistes, des moines et des étudiants, qui ont été placés en détention » depuis le coup d’Etat du 1er février.
« Le monde entier regarde » la répression en Birmanie, a averti la haut-commissaire adjointe de l’ONU aux droits de l’homme, Nada al-Nashif, en jugeant « inacceptable » l’usage de la violence contre les manifestants et en déplorant « les mesures draconiennes prises pour empêcher les réunions pacifiques et entraver la liberté d’expression », ainsi que le renforcement de la présence policière et militaire dans les rues.
Nouvelles arrestations
Malgré les nouvelles arrestations ordonnées par la junte birmane, des centaines de milliers de manifestants étaient de nouveau dans les rues, vendredi. Bravant l’interdiction de rassemblements, les contestataires étaient encore une fois très nombreux à défiler contre le putsch des généraux qui ont renversé Aung San Suu Kyi le 1er février.
A Rangoun, la capitale économique, des médecins, des étudiants et des salariés du privé ont marché dans une des grandes artères de la ville. « Rendez-nous notre gouvernement élu ! », « respectez notre vote ! », scandaient-ils. Des joueurs de football professionnels ont rejoint la fronde. « Nous détestons ce putsch encore plus que Manchester United ! », pouvait-on lire sur une banderole.
Des contestataires arboraient sur leur tee-shirt un ruban rouge aux couleurs de la Ligue nationale pour la démocratie (LND), le parti d’Aung San Suu Kyi ; d’autres brandissaient des portraits de l’ancienne dirigeante de 75 ans, détenue au secret depuis douze jours. « Nous ne reprendrons le travail que quand le gouvernement civil de “Mother Suu” sera rétabli. Peu importent les menaces », a déclaré à l’Agence France-Presse (AFP), Wai Yan Phyo, un médecin de 24 ans.
Dispersion brutale
Des rassemblements avaient lieu dans plusieurs autres villes, comme à Naypyidaw, la capitale administrative. Les manifestations étaient largement pacifiques, mais la tension était palpable.
Les forces de l’ordre ont dispersé brutalement un sit-in dans le sud du pays et interpellé au moins cinq personnes. Plusieurs personnes ont été légèrement blessées par des tirs de balles en caoutchouc. Trois jours plus tôt, deux manifestants avaient été gravement blessés par des tirs à balles réelles, dont une jeune femme toujours dans un état critique.
Le pays n’a pas connu un tel mouvement de contestation depuis la « révolution de safran », menée par des moines en 2007. Policiers, contrôleurs aériens, enseignants, professionnels de santé, un nombre important de fonctionnaires se sont mis en grève. Le chef de la junte, Min Aung Hlaing, leur a ordonné jeudi dans un communiqué de reprendre le travail, faute de quoi « des actions efficaces seront prises » à leur encontre.
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La junte qui a pris le pouvoir conteste la régularité des élections de novembre, remportées massivement par la LND. En réalité, les généraux craignaient de voir leur influence diminuer après la victoire d’Aung San Suu Kyi, qui aurait pu vouloir modifier la Constitution. Très critiquée il y a encore peu par la communauté internationale pour sa passivité lors des exactions contre les Rohingyas, la Prix Nobel de la paix 1991, en résidence surveillée pendant quinze ans pour son opposition à la junte, reste adulée dans son pays.
La Birmanie a déjà vécu près de cinquante ans sous le joug des militaires depuis son indépendance, en 1948, avec des répressions sanglantes lors des derniers soulèvements populaires de 1988 et de 2007.
Le Monde avec AFP