Il avait tout pour être un homme heureux. Mais le Chairman, éternel insatisfait, rêvait de toujours mieux pour son peuple. Désormais, son destin appartient à l’Histoire.
Jerry John Rawlings est décédé, ce jeudi 12 novembre 2020. Son pays, le Ghana, le pleure. Nombre d’Africains aussi. Car, dites-vous, c’est l’Afrique toute entière qui est en deuil. Ici même, vous l’avez souvent cité en exemple. Qu’incarnait-il de si particulier pour que sa disparition soit vécue comme une perte pour tout le continent ?
À présent qu’il n’est plus, l’on peut oser affirmer que Jerry John Rawlings incarnait véritablement un type de leadership et de patriotisme plutôt rares, dont auraient tant besoin bien des peuples, aujourd’hui, en Afrique. Peu de dirigeants, sur ce continent, ont eu le privilège de voir leur pays rayonner, en ayant conscience que cela n’aurait simplement pas été possible, sans eux. Certes, l’économie du Ghana peut toujours subir des intempéries de conjoncture. La démocratie ghanéenne peut même, à l’occasion, être ébranlée par quelques secousses telluriques. Mais l’édifice ne risque pas de s’effondrer de sitôt. Car, les fondations ont été bâties pour résister au temps. C’est ce que prédisait Jerry John Rawlings, en répondant à la journaliste américaine Diane Sawyer, dans l’émission « 60 minutes », affirmant que si, d’aventure, il venait à se retrouver au pouvoir au Ghana, le diable en personne ne pourrait se permettre ce qu’il veut, mais devra se plier à ce qu’attend de lui le peuple de ce pays. Davantage que la détermination farouche qu’on lui connaissait, il fallait au Chairman un leadership visionnaire, pour annoncer, avec une telle certitude, en 1992, que le Ghana, définitivement, allait s’imposer comme une démocratie exemplaire, et une économie aux bases plutôt saines.
C’est donc, en somme, une affaire d’institutions…
Oui. D’institutions, mais c’est dans les mentalités qu’a été bâtie cette œuvre. Et, depuis vingt ans, l’alternance, pour les Ghanéens, n’est plus un simple mot. Avec leur bulletin de vote, ils savent même pouvoir congédier les dirigeants dont la gestion économique ne leur convient pas, ou les déçoit. Le pays, actuellement, s’achemine vers une élection présidentielle, et pas une manifestation violente au tableau, pas un mort. Mieux, s’il venait à être réélu, le 7 décembre prochain, Nana Akufo-Addo jamais n’oserait toucher à la Constitution pour, dans quatre ans, s’offrir un éventuel troisième mandat.
Avec Donald Trump, nous savons qu’aucune démocratie, désormais, n’est à l’abri d’une déconvenue…
Comme vous avez raison ! Lorsque John Dramani Mahama, candidat à un second mandat, a été battu, il y a quatre ans, il a hésité à admettre sa défaite, et même tenté de la contester. Il lui avait alors été discrètement rappelé qu’il n’avait pas le droit de donner du pays l’image d’une démocratie… de pacotille. Et, tout président sortant qu’il était, il avait dû ravaler sa déception, et se plier à ce qu’avaient décidé les Ghanéens. Rawlings avait, en somme, tout prédit…
Même Nana Akufo-Addo, en 2012, avait tenté de contester la victoire de John Dramani Mahama, pourtant tranchée par la Cour suprême. Des voix autorisées avaient aussitôt fait comprendre au candidat Akufo-Addo que la démocratie ghanéenne ne pouvait souffrir de tels caprices, et qu’il devait patienter jusqu’à meilleure fortune.
Architecte de ce portrait harmonieux d’état de droit, de démocratie et de relative prospérité économique du Ghana, J.J. Rawlings, peintre à ses heures, avait tout pour être un homme heureux. Mais, il était un éternel insatisfait, et rêvait de toujours mieux pour son peuple. Que lui souhaiter, à présent, sinon de croiser, un jour, là-bas, dans le firmament, la « Black Star », scintillante, au-delà de toutes ses espérances ?
Par : Jean-Baptiste Placca