A Paris, Berlin, Ottawa, mais aussi à Washington, Tel-Aviv, Tokyo, Londres, ainsi qu’à Los Angeles et Genève, plusieurs dizaines de diplomates des ambassades et consulats de Birmanie à l’étranger ont rejoint le mouvement de désobéissance civile après le coup d’Etat du 1er février. Licenciés, privés de salaires, de logement, de statut, et dans l’impossibilité de rentrer dans leur pays où ils risquent l’arrestation, ils tentent de s’organiser pour survivre, tout en contribuant autant qu’ils le peuvent au gouvernement d’unité nationale (NUG), formé le 16 avril par des députés et politiques prodémocratie partis en exil.
Ils et elles participent notamment aux échanges entre leur pays hôte et le NUG. Selon ce dernier, 20 diplomates à l’étranger seraient entrés en résistance, tandis qu’à Naypyidaw, 120 fonctionnaires employés au ministère des affaires étrangères auraient sauté le pas. Certains de nos interlocuteurs disent avoir reçu des menaces de mort.
Agée d’une cinquantaine d’années, Chaw Kalyar, troisième secrétaire à l’ambassade de Birmanie à Berlin, a annoncé sur son compte Facebook, le 4 mars, son choix de rejoindre le mouvement de désobéissance civile. « Cela a été la décision la plus dure de ma vie », nous dit-elle. Deux de ses collègues qui, depuis le début, partagent ses idées ont décidé de la suivre.
Kyaw Moe Tun, un « modèle »
Pour tous les trois, le déclencheur fut « l’action courageuse de Kyaw Moe Tun, l’ambassadeur de Birmanie aux Nations unies, le 26 février », à New York, précise Chaw Kalyar : ce jour-là, le représentant officiel de Naypyidaw à l’ONU refuse de lire à la tribune le discours que lui ont préparé les militaires. Il condamne, au nom du comité représentatif du Parlement birman (CRPH), formé de parlementaires élus entrés en résistance, « les crimes contre l’humanité commis par la junte contre le peuple birman », sous les applaudissements de l’assemblée.
« Son geste a été décisif. C’est un modèle pour nous », poursuit Mme Kalyar. Le 10 mars, un courriel du ministère des affaires étrangères, où elle a travaillé pendant vingt-trois ans, lui signifiait son renvoi. « Le plus difficile pour nous, c’est de savoir qu’on va devoir rester à l’étranger et qu’on ne reverra pas notre famille si on ne gagne pas cette bataille. La plupart des diplomates qui ont rejoint le mouvement de désobéissance civile pensaient rentrer d’abord dans leur pays et se rallier là-bas, sur place. Mais on a finalement réalisé qu’en le faisant à l’étranger, en tant que diplomates, cela pourrait mettre davantage de pression sur la junte », dit-elle.
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A Paris, Phe Grace Mee, deuxième secrétaire, et l’une de ses collègues de même rang, ont annoncé leur ralliement au mouvement de désobéissance civile le 18 mars – et ont été officiellement congédiées le 18 mai. Toutes deux ont été autorisées à rester dans l’appartement qui leur était attribué jusqu’à la fin du mois de mai, car l’une d’elles avait contracté le Covid-19. Depuis, elles survivent grâce à une allocation de 500 euros par mois chacune, qui leur est allouée par la communauté birmane de France jusqu’au mois d’octobre. Un nouveau logement leur est également payé depuis juin par un groupe de médecins birmans installés aux Etats-Unis – mais seulement jusqu’à juillet.
« Ils pensent être au-dessus des lois »
La Birmane, diplomate depuis 2015, explique toutefois avoir gardé de bonnes relations avec ses autres collègues de l’ambassade : « Il faut les comprendre, il y a énormément de risques pour ceux qui rejoignent le mouvement. Mais je peux vous assurer que beaucoup de mes collègues n’acceptent pas ce coup d’Etat illégal et mènent le combat par tous les moyens possibles », confie-t-elle. Ce n’est pas le cas partout. A Londres, l’ambassadeur rebelle de Birmanie, Kyaw Zwar Minn, s’est vu refuser l’accès à l’ambassade par l’attaché militaire le 8 avril. Il a ensuite reçu l’aide du gouvernement britannique.
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Ces risques, Phee Grace Me et ses collègues les connaissent : figurer sur la liste noire du ministère de l’intérieur birman, la possibilité d’être accusé d’avoir diffamé l’armée, selon l’article 505-A du code pénal… « Si l’on retourne en Birmanie, on fera l’objet d’une enquête criminelle, avec des méthodes inhumaines, on sera arrêté et on peut aussi être tué », affirme l’ex-deuxième secrétaire. Comme ses collègues, elle a participé à l’organisation dans les ambassades des élections de novembre 2020, remportées haut la main par la Ligue nationale pour la démocratie (NLD), le parti d’Aung San Suu Kyi, mais dont le général Min Aung Hlaing, l’auteur du coup d’Etat, a allégué le caractère supposément frauduleux pour justifier son action.
« Nous avons travaillé d’arrache-pied dans les ambassades, malgré le Covid, en accord avec la commission électorale [de l’Union du Myanmar] pour que les Birmans de l’étranger puissent voter. Ces élections étaient libres et justes à toutes les étapes, et je suis persuadée que cela a été le cas dans tout le pays », dit Phee Grace Me. « Mais les militaires n’ont pas accepté le résultat, ils pensent être au-dessus des lois, pouvoir agir impunément, que la loi de la jungle règne comme lors du coup d’Etat de 1962, des élections de 1988 et des attaques contre les Rohingya en 2017. Nous sommes au XXIe siècle, ce genre de comportements n’est plus acceptable. »
Plus de passeport ni de logement
A Ottawa, Soe Wuttye Htoo, deuxième secrétaire de l’ambassade de Birmanie au Canada, a rejoint le mouvement de désobéissance civile le 25 mars. Elle est la seule à l’avoir fait dans la capitale canadienne. Son ambassadeur lui a alors demandé de ne plus venir au bureau. Sa mise à pied lui a ensuite été formellement signifiée le 18 mai, date à laquelle elle a dû quitter son logement de fonction. Son passeport diplomatique lui a été confisqué, faisant d’elle une « sans-papiers ». Cette jeune diplomate de 33 ans avait réussi le concours d’entrée et rejoint le ministère des affaires étrangères en 2016, au moment de l’entrée en fonction du premier gouvernement jamais dirigé par la NLD, à l’issue des élections de 2015. Le Canada, où elle est arrivée en mars 2020, était sa première affectation à l’étranger.
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« J’avais beaucoup de projets de carrière pour l’avenir. Il m’a été difficile de décider de quitter cet emploi », poursuit-elle. Outre l’entrée en résistance de l’ambassadeur Kyaw à New York le 26 février, Soe Wuttye Htoo fut bouleversée par la mort d’une fillette de 7 ans, le 23 mars, à Mandalay, atteinte par une balle alors qu’elle était dans les bras de son père. « Mon mari et moi avons décidé que nous devions nous battre pour notre pays, même si nous savions que nous serions confrontés à une situation où je n’aurais plus de logement, ni de statut légal, ni de ressources financières. En Birmanie, les jeunes affrontent la mort tous les jours. » Le couple survit grâce à l’aide d’un réseau de militants prodémocratie birmans au Canada.
Soutien variable des pays
Ces diplomates rebelles ont reçu un soutien variable, selon les pays dans lesquels ils se trouvent. En Allemagne, Chaw Kalyar a négocié au nom de ses collègues, avec le ministère allemand des affaires étrangères, le maintien de leur statut diplomatique, au moins jusqu’au 1er juillet, car le gouvernement allemand n’a pas reconnu la nouvelle administration issue du putsch. Au-delà, un autre statut devrait leur être proposé. Une aide d’urgence de 700 euros leur a également été allouée, du 15 avril jusqu’à fin juin.
Les diplomates ont aussi pu rester dans leur appartement pendant trois mois malgré leur licenciement – en se prévalant des lois allemandes exigeant un préavis –, avant d’être relogés grâce à une aide de la communauté birmane. Aux Etats-Unis, les diplomates qui ont rejoint le mouvement de désobéissance civile ont reçu le Temporary Protected Status (TPS), qui permet de vivre et de travailler dans le pays à des individus ayant besoin d’une protection, sans être réfugiés. Au Canada, comme en France, la seule option qui leur a été proposée à ce stade est l’asile politique. « Le Canada ne reconnaît pas le gouvernement de la junte, et pourtant il leur est très difficile de maintenir notre statut de diplomate », déplore Mme Soe.
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Vendredi 18 juin, l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations unies a adopté une résolution non contraignante condamnant le coup d’Etat en Birmanie et appelant « tous les Etats membres à empêcher l’afflux d’armes » dans ce pays. Le texte a été approuvé par 119 Etats, 36 s’étant abstenus – parmi lesquels la Chine et la Russie. La Birmanie a voté en faveur du texte, car elle est représentée par l’ambassadeur rebelle Kyaw Moe Tun, limogé après le coup d’Etat, mais reconnu par l’ONU.